Voici l'interview intégral de Jean-Claude
Sensemat dont les propos ont été recueillis le jeudi 18 août 2016 par
Christophe Zoia, journaliste et responsable départemental adjoint de La Dépêche
du Midi édition du GERS.
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Pourquoi avoir quitté le Gers, la France et choisi le Canada?
J’ai
perdu trente ans de travail en trois mois, sur une décision de justice, faisant
penser à un "Outreau économique". D’ailleurs par ma collaboration
avec la brigade financière de la PJ de Toulouse j’ai fait arrêter, la main dans
le sac, un auxiliaire de justice que l’on avait imposé dans mon entreprise.
Face
à cette ambiance gersoise malveillante, je suis allé habiter à Toulouse.
À
ce moment j’ai eu l’idée de devenir Consul d’un des pays avec lequel j’avais
fait des opérations d’import-export d’outillage et l’Albanie était justement en
recherche d’un consul.
J’ai
réactivé mes connaissances dans ce pays et le gouvernement albanais a
immédiatement voté ma nomination.
Le
gouvernement français m’a accepté et l’on m’a remis l’exequatur pour m’occuper
des Albanais dans 33 départements du sud de la France. J’ai démissionné de
cette belle fonction quand ma famille et moi avons décidé d’immigrer au Canada.
J’ai
choisi le Canada pour la francophonie du Québec et aussi pour marquer une vraie
rupture avec les épreuves subies en France.
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Comment expliquez-vous, avec le recul, la chute de Sensemat outillage ? De la
réussite de la relance de Lip ?
Toutes
mes activités ont toujours été bénéficiaires pendant trente ans et la
capitalisation financière était plus que solide.
Au
printemps 2000, les stocks étaient trop élevés. Les banques n’ont eu alors de
cesse de me demander de remettre ma fortune personnelle dans l’entreprise alors
que cette dernière disposait de capitaux propres largement suffisants.
Puis,
la justice s’en est mêlée pour redresser la situation. Tout cela a déstabilisé
la confiance générale, jeté un doute sur la solidité de l’entreprise et l’a
amenée au dépôt de bilan. Tous les frustrés de ma réussite, les syndicats, les
jaloux, les cadres effrayés et les politiques haineux se sont déchainés.
Chacun
voulait piller et obtenir un morceau de l’entreprise à vil prix, comme une
revanche sur ma réussite jugée, par certains, trop flamboyante. C’était là
l’opportunité de stopper mon irrésistible ascension.
J’ai
été triste de voir des personnes, que j’avais aidées, avec lesquelles j’avais
travaillé, que j’avais reçues chez moi me tourner brutalement le dos, effrayé
par les rumeurs malveillantes, infondées. Cela me permet de dire que je n’ai
jamais commis aucune malhonnêteté, je n’ai jamais été condamné, je n’ai jamais
subi d’interdiction et je n’ai jamais été mis en examen.
Il
est cocasse de constater que, certains de ces critiqueurs ont eu maille à
partir avec la justice et ce sont eux qui ont été eux mis en examen et pour
certain condamnés par la justice ou en voie de l’être.
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Justement, pourquoi avoir vendu Lip?
Lip
faisait partie de mes biens personnels et j’ai tout fait pour tenir cette
société à l’écart des turbulences que rencontrait mon groupe d’outillage.
J’ai
donc imaginé et favorisé la création de la société MGH à Lectoure afin de lui
louer ma marque Lip pour dix ans.
Car
j’avais racheté à la barre du tribunal de Besançon la marque horlogère Lip en
1990 j’ai multiplié les actions marketing ce qui a permis à mes collaborateurs
de vendre avec succès ces montres Lip. Marque qui avait disparu du marché
depuis quelques années.
Fin
2015 le contrat de licence de la marque Lip arrivait à son terme. Étant au
Canada, je ne souhaitais pas renouveler la licence, car trop contraignant
depuis Montréal j’ai préféré la vendre au détenteur de la licence.
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Pourquoi ne pas avoir tourné la page et avoir à nouveau créé une entreprise en
France ?
Les
banques françaises m’ont fait savoir que, comme je n’avais pas voulu remettre
de l’argent dans la société d’outillage, je n’aurai plus de crédit. J’ai
essayé, je n’ai essuyé que des refus même quand je ne demandais aucun crédit et
quand je demandais la raison on me répondit " parce que ". Je n’avais
qu’une solution, c’était de partir de France. J’ai immigré au Canada et j’ai
été accueilli comme investisseur par le Gouvernement canadien de plus, on m’a
accordé la nationalité canadienne.
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Qu'êtes-vous devenu personnellement et professionnellement ? En quoi consistent
votre "trust financier et de l'immobilier"?
Je
ne suis pas arrivé au Canada les mains vides, j’ai amené avec moi l’argent
gagné par mon travail, puisque mes sociétés ont toujours été bénéficiaires et
que j’en étais le seul actionnaire.
Cela
m’a permis de créer une société financière sous la forme juridique de fiducie,
trust en anglais. Cette société place principalement ses fonds dans des
obligations d’entreprises nord-américaines et également des titres en bourse à
New York ou Toronto.
Dès
mon arrivée à Montréal, j’ai acheté des appartements dans le centre-ville, qui
ont rapidement pris de la valeur, car Montréal est une des mégalopoles des plus
attractives.
J’ai,
bien entendu, conservé tout mon immobilier personnel en France qui a été mis à
la location, immobilier sur lequel d’ailleurs je paye toujours l’ISF.
Sur
un plan personnel, ma femme et moi travaillons ensemble à nos différentes
activités.
Nous
sommes rentrés dans plusieurs clubs et cercles. Nous avons ‘’constitué’’ du
social. Mon fils Laurent, après avoir terminé son université à Montréal,
travaille dans la logistique d’une firme d’agroalimentaire il s’est marié à une
Montréalaise, qui est opticienne, et ils ont fondé une famille de trois
enfants, une petite fille de trois ans et des jumeaux fille et garçon, et cela
donne beaucoup de joies aux grands-parents que nous sommes.
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Vous avez créé les éditions Duroi, écrit plusieurs livres, lancé sur le web
"Le Français Magazine"… on sent chez vous une forte envie de
témoigner, on se trompe?
J’ai
toujours eu la passion d’écrire, de témoigner, de raconter ce que je vivais, ce
que je vis, ce que je pensais, une façon de partager avec les autres.
Je
ne peux cacher que, publier mes mésaventures a été une bonne thérapie.
Aujourd’hui si l’on écrit ‘’ Sensemat’’ sur le site de la Fnac ou d’Amazon, on
trouve mes livres.
Quant
au ‘’Français Magazine’’, c’est une façon pour moi d’écrire et de rester en
contact avec la France.
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Avez-vous, du coup, encore des liens avec le Gers? Le Gers et Fleurance vous
manquent-ils?
Dans
les dix dernières années, j’ai malheureusement perdu ma mère et mon ex-femme,
il me reste quelques cousines et cousins.
Quant
aux relations, anciens collaborateurs ou autres connaissances ils ont disparu
après m’avoir tourné le dos, ont-ils la conscience tranquille ?
Je
dois dire que le temps passe, la vérité se faisant jour, je reçois des
témoignages de sympathie.
J’ai
aimé le Gers et les Gersois plus qu’ils ne m’ont aimé. Fleurance est mon
berceau, mon amour est grand pour cette ville, j'ai de l’émotion quand j’y
pense.
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Quel est votre regard sur le Gers et son évolution ?
Je
suis trop loin pour juger, bien que je sois toujours abonné à La Dépêche du
Midi. Je suis l’entrepreneur privé qui a apporté le plus de ressources
économiques au département du Gers pour le XXe siècle. Aujourd'hui, il semble
que les priorités soient plus associatives qu’économiques, mais bien sûr, il y
a la carte du tourisme, des festivals d’été, c’est ça le Gers et ce département
a une bonne réputation pour cela.
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Sur votre site, vous n'éludez pas votre engagement politique… Pourriez-vous
vous présenter à une élection?
J’adore
votre question, elle est très gersoise comme si la politique était
l’aboutissement du parcours d’un individu !
Je
ne retournerai habiter dans le Gers ou en France ni vivant ni mort. J’ai
d'ailleurs déjà organisé mes obsèques à Montréal, sur les hauteurs du cimetière
de la Côte-des-Neiges. Mais, comme tout cela est très loin, j’espère partager
avec quelques ‘’amis’’ lors d’un de mes passages un bon magret qui aura été
précédé d’un foie gras du Gers avec un petit verre de blanc du pays.